Pharmacie d’officine : le Conseil d’État précise le champ de l’interdiction des procédés de fidélisation de la clientèle

15.04.2024

Droit public

Les dispositions qui interdisent aux pharmaciens d’avoir recours à des moyens de fidélisation de la clientèle pour une officine donnée ne font pas obstacle à ce qu’un pharmacien participe à des procédés de fidélisation mis en place par des groupements ou réseaux de pharmacies dont les avantages sont valables dans l’ensemble des officines du réseau ou du groupement.

A la suite de plaintes disciplinaires déposées par une consœur pharmacienne et par la présidente du conseil central de l’ordre des pharmaciens chargé de l’outre-mer (section E), un pharmacien titulaire d’une officine exploitée à la Martinique sous forme de société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) est condamné à l’interdiction d’exercer la pharmacie pour avoir recouru à un programme de fidélisation de clientèle. Les griefs sont confirmés en appel par la chambre de discipline du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP) qui, par une décision du 29 avril 2022, réduit les sanctions prononcées en première instance, en condamnant le pharmacien à l’interdiction d’exercer la pharmacie pendant une durée de six semaines (dont deux semaines avec sursis), et en interdisant à la société qu’il exploite d’exercer la pharmacie pendant une durée d’une semaine, assortie du sursis.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État annule la décision disciplinaire du CNOP pour erreur de droit et qualification inexacte des faits. L’objet du litige portait notamment sur l’interprétation et l’application des dispositions de l’article R. 5125-28 du code de la santé publique, qui interdisent aux pharmaciens d’officine d’octroyer à leur clientèle des primes ou des avantages matériels directs ou indirects, de lui donner des objets ou des produits quelconques, à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable, et d’avoir recours à des moyens de fidélisation de la clientèle pour une officine donnée.

Ces règles restrictives sont issues du décret n° 96-531 du 14 juin 1996 relatif à la publicité pour les médicaments. Saisi à l’époque en tant que juge de l’excès de pouvoir, le Conseil d’État avait confirmé sa légalité (CE, 12 juin 1998, n° 181718, Association des groupements des pharmaciens d’officines, RDSS 1998. 790, concl. C. Maugüé). C’est ce même décret qui a établi l’interdiction faite aux groupements ou aux réseaux constitués entre pharmaciens d’effectuer de la publicité auprès du public en faveur des officines qui le constituent (C. santé publ., art. R. 5125-29). Et c’est d’ailleurs sur ce fondement que des campagnes publicitaires menées par des groupements de pharmaciens ont été condamnées par le juge judiciaire (Cass. 1re civ., 4 juin 2014, n° 13-16794, RDSS 2014. 764, note J. Peigné). Le Conseil constitutionnel avait été préalablement saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité et considéré que la délégation de compétences consentie au pouvoir réglementaire ne privait pas de garanties légales les exigences qui résultent de la liberté d’entreprendre et n’affectait aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit (Cons. const., 31 janv. 2014, n° 2013-364 QPC).

Il n’en demeure pas moins que la question de l’adaptation des règles sur la publicité avec l’exercice d’une profession de santé réglementée mérite d’être posée au regard du développement de la société de l’information. Il n’est pas indifférent, à cet égard, que dans ses moyens de défense le pharmacien poursuivi ait invoqué le projet de nouveau code de déontologie pharmaceutique de 2018 – lequel prévoyait un assouplissement des règles relatives à la communication commerciale – et la jurisprudence de la Cour de justice (CJUE, 4 mai 2017, aff. C-339/15, Vanderborght ; CJUE, 23 oct. 2018, aff. C-296/18, Cons. de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Haute-Garonne), ainsi que les arrêts du Conseil d’État ayant fait droit à la demande d’abrogation des interdictions de communication commerciale prévues dans les codes de déontologie médicale et odontologique (CE, 6 nov. 2019, n° 416948 ; CE, 6 nov. 2019, n° 420225). Reste que si les codes de déontologie des médecins et des chirurgiens-dentistes ont été amendés en conséquence, aucune révision réglementaire n’est intervenue à ce jour pour la profession de pharmacien (un nouveau code de déontologie étant toujours en attente).

Dans l’affaire soumise au juge de cassation disciplinaire, il faut préciser que deux sortes de règles ont été invoquées et appliquées par la juridiction ordinale : d’une part, les dispositions issues du décret n° 96-531 du 14 juin 1996, qui interdisent d’avoir recours à des moyens de fidélisation de la clientèle (C. santé publ., art. R. 5125-28) ; d’autre part, les dispositions issues du décret n° 95-284 du 14 mars 1995 portant code de déontologie des pharmaciens, qui prohibent l’incitation des patients à une consommation abusive de médicaments (C. santé publ., art. R. 4235-64) et l’utilisation de vitrines aux fins de solliciter la clientèle par des procédés et moyens contraires à la dignité de la profession (C. santé publ., art. R. 4235-59).

En l’espèce, le programme de fidélité proposé par l’officine consistait en la distribution d’une carte de fidélité (dite « carte adhérent premium »), offrant une réduction permanente de 10 % sur les produits de parapharmacie, et l’exonération de l’honoraire de dispensation pour les médicaments remboursables sans ordonnance.

La juridiction ordinale a considéré, en premier lieu, qu’en proposant des réductions, pouvant aller jusqu’à 40 % du prix, sur des médicaments remboursables non soumis à prescription obligatoire, le programme de fidélité constituait une incitation à une consommation abusive de médicaments. Elle a estimé, en second lieu, que la carte « adhérent premium », valable uniquement au sein des officines participantes, constituait un moyen de fidélisation de la clientèle, la circonstance que la carte de fidélité litigieuse mentionne le nom du groupement, et non de la pharmacie, n’étant pas de nature à retirer son caractère fautif au procédé litigieux, dès lors que les intéressés bénéficient de l’avantage résultant de la distribution de cette carte, qui conduit nécessairement les clients bénéficiaires de la carte à se rendre dans l’officine (le fait que la pharmacienne à l’origine de la plainte appartienne au même réseau d’officines que le pharmacien poursuivi n’étant pas davantage exonératoire de responsabilité).

C’est sur le second point que la cassation a été encourue. Le Conseil d’État a en effet jugé que si les dispositions de l’article R. 5125-28 du code de la santé publique interdisent à un pharmacien d’avoir recours à un programme de fidélisation de la clientèle procurant à ses bénéficiaires des avantages valables exclusivement dans l’officine qu’il exploite, elles ne font pas obstacle à ce qu’il participe à des procédés de fidélisation mis en place par des groupements ou réseaux de pharmacies, dont les avantages sont valables dans l’ensemble des officines du réseau ou du groupement.

Il en résulte que ces dispositions ne sauraient servir de fondement à une sanction disciplinaire contre le pharmacien membre d’un groupement ou d’un réseau, dès lors que la carte de fidélité proposée aux clients de l’officine mentionne uniquement le nom du groupement ou du réseau de pharmacies dont est membre l’officine et leur permet d’obtenir, dans l’ensemble des officines participant au programme, une réduction permanente sur le prix des produits de parapharmacie ou des médicaments sans ordonnance.

Les autres moyens du pourvoi n’ayant pas été examinés, il sera intéressant de voir si la chambre de discipline du CNOP, à laquelle a été renvoyée l’affaire, reprend les griefs fondés sur les dispositions du code de déontologie pharmaceutique pour maintenir une sanction, fût-elle encore assouplie.

Jérôme Peigné, Professeur à l'Université Paris Cité (Institut Droit et santé)
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